TRANS//BORDER, Les Enseignements de Nathalie Magnan / Vidéo N°2

TRANS//BORDER, Les Enseignements de Nathalie Magnan / Vidéo N°2

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Frontières et technologies en mer Méditerranée
Les Technologies de contrôle et le droit en mer

Vendredi 16 mars 2018, 15h-17h

Conception, animation : Isabelle Arvers (commissaire d’expositions), intervenant.es : Violaine Carrère (Gisti), Malin Björk (eurodéputée), Charles Heller (Watch the Med), Erwan Follezou (SOS MEDITERRANEE)

La séquence s’ouvre sur la projection d’un extrait de Sailing for geeks 2, projet initié par Nathalie Magnan. Les intervenant.es rappellent que l’espace maritime est régi par des lois et expliquent comment les États en sont venus à s’exonérer du droit dans la guerre qu’ils mènent contre les personnes qui fuient leur pays pour trouver refuge en Europe. Dans un tel contexte, la société civile s’organise et mobilise toutes sortes de technologies pour venir au secours des personnes en danger mais aussi pour témoigner, déterminer les responsabilités et tenter de faire respecter les lois. Nous sommes en mars 2018 et déjà il est perceptible que la situation va en s’aggravant.

Isabelle Arvers rappelle les travaux et intérêts de Nathalie Magnan sur la question des frontières et des réfugié.es, qui ont amené à programmer cette séquence dans le cadre de TRANS//BORDER.

Violaine Carrère, pour le Gisti (également membre de Migreurop, réseau qui s’intéresse aux effets des politiques européennes sur les migrations), explique comment la Méditerranée, en raison de son histoire est, plus que toute autre mer, un espace d’échanges, de circulation, de commerce, d’inter-connexions, de lien entre le Sud et le Nord, qu’on cherche aujourd’hui à interdire. Pour ce faire, on utilise le droit comme une technologie. Pourquoi les migrants prennent-ils la mer, plutôt que l’avion par exemple ? D’abord en raison d’une politique de visa très restrictive mais aussi parce que les compagnies de transports sont très contrôlées et que leurs responsables peuvent être sanctionnés par de lourdes amendes pour avoir transporter des personnes que les pays d’Europe ne veulent pas accueillir. Les migrant.es traversent la Méditerranée pas seulement en provenance des pays dits du sud mais aussi d’Afghanistan, du Pakistan, des Philippines, etc. Il s’agit donc du sud au sens plus large de « non-occidental ». Les routes qu’empruntent les migrant.es à travers la Méditerranée peuvent être très longues et périlleuses. Il y en a trois : celle du Maroc vers l’Espagne, qui est la plus courte, celle du Canal de Sicile, de la Libye ou de l’Égypte vers la Sicile, Lampedusa, celle de la Turquie vers la Grèce par la mer Égée. Elles sont l’objet de surveillance de plus en plus accrue et de toutes sortes d’obstacles, murs, barbelés, grillages… mais aussi d’obstacles non physiques qui s’apparentent à ce qu’on fait d’un point de vue militaire, que Migreurop appelle la guerre aux migrants.

La mer : un espace de droit et un cimetière

La mer est un espace de droit et un espace zoné, où s’exercent des réglementations pour la pêche, pour l’exploitation des ressources halieutiques, pour la circulation, réglementations qui diffèrent selon qu’on est dans les eaux territoriales, dans les zones contigües ou dans les eaux internationales. Ces règles sont fixées par des conventions internationales comme la convention de Montego Bay, la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, la convention SAR (search and rescue)et la convention SOLAX (Safety Of Life At Sea). C’était déjà le cas dans l’Antiquité avec des règles alors non écrites, comportant notamment l’obligation de porter assistance aux embarcations en danger. Ces règles sont fixées de manière très précise de manière que les secours ne soient pas portés de manière inconsidérée. Sont précisées la nécessité d’alerter les garde-côtes et la nécessité de conduire les personnes recueillies vers le port « sûr » le plus proche, « sûr » au sens plein du terme où les personnes ne risqueraient ni leur vie, ni leur intégrité physique, ni leur liberté. D’autres règles prévalent comme la convention internationale sur les réfugiés de 1951 qui prévoit que toute personne qui veut demander asile auprès d’un pays signataire de la convention de Genève doit pouvoir arriver librement dans ce pays sans aucun pré-requis, sans passeport, etc. À partir du moment où, aujourd’hui, vous ne pouvez circuler librement, vous êtes tenus d’emprunter des routes beaucoup plus aventureuses et d’utiliser les services de passeurs. Les empêchements à la circulation sont des empêchements pour les réfugiés à demander protection. Ils sont en contradiction avec le droit maritime qui organise la sauvegarde des vies humaines. Il y a contradiction entre plusieurs types de droit, le droit international et le droit de la mer et la volonté des pays de l’Europe d’empêcher les circulations. Pourquoi cette obsession, plus qu’une priorité, des États d’empêcher l’arrivée des migrants ? C’est sans doute un besoin des États de marquer leur souveraineté en contrôlant leur territoire. C’est de la communication à usage de la population. Ont été mis en place ces dernières années de nouveaux instruments juridico-politiques, qu’on appelle « politique de voisinage », qui consiste à faire que les pays d’où viennent les migrants ou par lesquels ils transitent participent à cette lutte contre l’immigration.

La Méditerranée est devenue un cimetière marin dont la plupart des morts sont passés sous silence, alors que depuis le début des années 1990, plus de trente mille personnes ont perdu la vie en Méditerranée, selon les seuls chiffres connus. Outre les morts, il faut aussi comptabiliser les atteintes au droit comme les refoulements par exemple vers la Libye.

De nombreux droits sont ainsi bafoués, en toute impunité. D’où la nécessité de la preuve et donc de témoignages, de toutes sortes, pour pouvoir exercer le recours juridique. C’est là qu’interviennent les activistes. Violaine Carrère parle du droit en mer comme d’une technologie qu’il s’agit de s’approprier.

La militarisation de l’espace maritime

Malin Björk, eurodéputée du parti de gauche suédois, évoque d’abord ses liens avec Nathalie Magnan, avec qui elle a navigué dans les mers du nord et avec qui elle a abondamment échangé sur la question des frontières. Elle explique notamment comment, avec la création de l’agence européenne Frontex et, avec les accords passés avec la Turquie puis le Niger et le Maroc, une externalisation des frontières hors Europe, on a opéré la militarisation de l’espace maritime ce qui obère les possibilités de demande d’asile. Il s’agit de réagir, par une solidarité pratique, en « coupant » les barbelés.

Sailing for Geeks : dénoncer les violations du droit par les États

Charles Heller revient sur le projet Sailing for Geeks 2, initié par Nathalie Magnan à l’été 2005 dans le détroit de Gibraltar et propose de le contextualiser : été 2004, arrestation du navire de l’ONG de sauvetage en mer Cap Anamur ; octobre 2005, tirs sur les personnes qui tentent de franchir les grillages de l’enclave de Ceuta ; novembre 2005, constitution du réseau Migreurop ; 2011, les soulèvements arabes permettent de rouvrir de nouvelles routes en Méditerranée centrale ; suite à l’exode provoqué par la guerre civile en Libye, les États impliqués, dont la France, s’exonèrent de « la responsabilité de protéger ». Les activistes mettent en place de nouveaux outils pour dénoncer les violations du droit par les États : Forensic Architecture, Watch the Med(plateforme collaborative de documentation des morts en Méditerranée) se proposent de spatialiser les traces des violences sur les territoires maritimes de manière à pouvoir déterminer les responsabilités. Charles Heller en appelle aux étudiant.es des écoles d’art présent.es en insistant sur le rôle que les artistes peuvent jouer comme relais des ONG grâce à leur liberté d’imagination et d’expérimentation.

Le contrôle des frontières

Erwan Follezou, pour SOS MEDITERRANEE, revient sur le changement qu’a marqué la fin de l’opération Mare nostrum, remplacée par l’opération Triton de Frontex : il ne s’agit plus d’un mandat de sauvetage mais d’une opération militaire de contrôle des frontières. Cependant, si 40 % des sauvetages en mer sont opérés par des ONG de secours citoyen, 60 % le sont encore par les militaires, la marine marchande et les garde-côtes. Il rappelle que le droit en mer, fondé sur la responsabilité de porter secours aux embarcations en perdition, est une conséquence du naufrage du Titanic qui était un navire de migrants. La criminalisation de la solidarité à laquelle on assiste aujourd’hui est un autre déplacement des frontières qui les portent au sein même de notre humanité. Erwan Follezou conclut sur la crainte que l’avènement d’un nouveau gouvernement en Italie supprime tout port de débarquement dans ce pays, prévision qui s’est réalisée depuis.

Développer de nouveaux outils

Charles Heller reprend la parole pour invoquer la nécessité de mettre en place de nouveaux outils pour faire face à la situation nouvelle : le droit de regard citoyen doit maintenant se déplacer en Libye (dont les « garde-côtes » interceptent violemment les migrants au lieu de les sauver) et plus seulement dans l’espace maritime.

Après quelques échanges entre les intervenant.es, la parole est donnée à la salle d’où émanent deux témoignages : celui d’une Grecque qui évoque la manière dont, dans son île, les politiques mises en place conduisent à une « fascisation » de la population ; celui de Zimako, réfugié nigérian, habitant de la jungle de Calais et créateur de l’École du chemin des Dunes (cf. le machinima d’Isabelle Arvers Heroic Makers vs Heroic landprésenté dans l’exposition).

Le dernier acte de Nathalie Magnan a été d’appeler l’attention sur celles et ceux qui, chaque jour, tentent de traverser la Méditerranée au péril de leur vie. Pour répondre à ce voeu, nous vous proposons de soutenir l’association civile de sauvetage en mer, SOS MEDITERRANEE : http://bit.ly/2hpvb9Z.